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Le Snark ne mouilla pas, ce soir-là, à l’endroit où Burton avait indiqué à Oskas qu’ils attendraient le bateau à aubes. C’eût été beaucoup trop risqué. Le chef pouvait regagner aisément son territoire en empruntant ou en volant une embarcation, et revenir avec des renforts avant l’arrivée du Rex Grandissimus.
Le cotre continua de descendre le Fleuve pendant deux jours sans s’arrêter. Entre-temps, les messages par héliographe, tam-tam et signaux de fumée avaient commencé à les rattraper. Oskas proclamait que Burton et son équipage l’avaient kidnappé après lui avoir volé des cigarettes et de l’alcool. Il offrait une récompense importante à qui arrêterait les « criminels » pour les lui remettre personnellement dès qu’il arriverait sur les lieux.
Burton prit immédiatement des mesures de contre-propagande, bien qu’il eût des doutes quant à l’influence que pouvait avoir Oskas sur les gouvernements des petites nations riveraines. Il n’était pas exclu, cependant, que des individus organisent une expédition en vue de toucher la récompense promise.
Burton descendit à terre avec un coffre contenant du tabac, de l’alcool et une trentaine d’anneaux en bois de chêne. Il s’en servit pour payer le responsable local des communications qu’il chargea d’émettre un message où l’équipage du Snark affirmait qu’Oskas était un menteur et qu’il les avait forcés à prendre la fuite en voulant abuser d’une femme qui faisait partie de leur équipage. Oskas les avait alors poursuivis, mais sa pirogue de guerre avait sombré lorsqu’il avait voulu grimper à bord du Snark.
Le message ajoutait que le chef et ses conseillers possédaient un trésor secret, parmi lequel il y avait au moins une centaine de jokers.
C’était un mensonge, naturellement. Un jour, Oskas, en veine de confidences pour avoir bu plus que de coutume, avait confié à Burton qu’il y avait vingt graals en surnombre dans la salle du trésor. Mais Burton n’avait aucun scrupule à déformer un peu la vérité. Il ne faisait que rendre au chef la monnaie de sa pièce. Ses sujets, en entendant cela, lui demanderaient des comptes. Ils exigeraient que le produit des graals excédentaires soit affecté aux réserves publiques. De plus, Oskas allait avoir à se protéger des voleurs. Et pas seulement ceux de sa propre tribu. Beaucoup d’autres, alléchés par la nouvelle, devaient déjà se torturer l’esprit à la recherche d’un moyen de s’emparer du trésor.
Oskas, se dit Burton en souriant sarcastiquement, allait être trop occupé pour songer sérieusement à se venger.
Un peu plus tard, le Snark arriva dans un secteur où le courant ralentissait considérablement. Ce n’était pas la première fois que Burton se trouvait dans de telles eaux mortes. Normalement, sur la Terre, le Fleuve n’aurait pas pu poursuivre son cours en l’absence d’une pente suffisante. Il aurait inondé la vallée et formé un lac.
Après avoir navigué quelques heures dans cette zone de calme plat, le cotre se retrouva soudain porté par un courant de plus en plus fort. De nouveau, le Fleuve se déversait vers son embouchure lointaine et légendaire, vers cette grande caverne que l’on disait déboucher sur la mer polaire du nord.
Plusieurs explications concernant ce phénomène avaient été avancées mais aucune, jusqu’à présent, n’avait pu être vérifiée. Certains pensaient que la gravité variait suffisamment d’un endroit à l’autre pour permettre au Fleuve de surmonter l’absence quasi totale de pente. Il était possible, disaient-ils, que les mystérieux bâtisseurs de cette planète aient prévu des installations souterraines destinées à réduire localement les effets du champ gravitationnel. D’autres suggéraient l’existence de pompes à haut débit sous le lit du Fleuve. D’autres encore affirmaient que les deux méthodes étaient utilisées conjointement.
Il y avait aussi, bien sûr, ceux qui proclamaient que Dieu avait ordonné au Fleuve de couler à contre-pente, et qu’il n’y avait donc pas lieu de s’étonner du phénomène.
Quant à la majorité silencieuse, elle délaissait carrément le problème et ne s’occupait pas de savoir pourquoi le Fleuve ne s’arrêtait jamais de couler sur des dizaines de millions de kilomètres.
Le deuxième jour au soir, le Snark arriva à l’endroit où le grand bateau à aubes devait en principe s’arrêter pour recharger ses batteries ; mais ils apprirent par le télégraphe que le Rex Grandissimus avait interrompu son voyage pour permettre à son équipage de se reposer quelques jours à terre.
— Magnifique ! dit Burton. Nous partirons demain à sa rencontre et nous aurons ainsi tout le temps de convaincre le roi Jean de nous prendre à bord.
Il était beaucoup moins enthousiaste qu’il voulait bien le laisser paraître. Si son plan ne fonctionnait pas, il faudrait bien que le Snark repasse par le territoire d’Oskas, et en plein jour, car la brise de nuit n’était pas suffisante pour qu’ils puissent remonter le courant. Le chef les attendrait de pied ferme avec toute sa tribu, car les tam-tams et les signaux optiques ne manqueraient pas d’annoncer leur passage. En fait, ils auraient dû remonter le Fleuve juste après s’être débarrassés d’Oskas et essayer de mettre le plus de distance possible entre son territoire et eux. Mais s’ils avaient agi ainsi, le Snark aurait eu toutes les chances de se faire rattraper par le navire à aubes, et Burton n’aurait jamais pu parler à son capitaine pour tenter de se faire prendre à bord avec son équipage.
A chaque jour suffit sa peine, se dit-il, et l’on sait ce que peuvent devenir les meilleurs projets des souris et des hommes. Pourquoi dès aujourd’hui se soucier du lendemain ?
Moyennant quoi il n’était pas plus rassuré qu’avant.
Les populations du secteur étaient constituées d’une majorité de Hollandais du XVIe siècle coexistant avec une minorité de Thraces de l’antiquité ainsi qu’avec l’infime pourcentage habituel de gens de toutes les races et de toutes les époques. C’est ainsi que Burton fit la connaissance d’un certain Fleming qui avait connu Ben Jonson et Shakespeare, entre autres célébrités. Il était en train de discuter avec lui devant un feu en plein air lorsqu’un nouveau venu s’approcha du groupe pour se joindre à eux. C’était un individu de race blanche, de stature moyenne, assez maigre. Il avait les cheveux noirs et les yeux bleus. Il fixa Frigate durant un long moment, puis s’approcha de lui à grands pas en souriant de toutes ses dents :
— Pete ! s’écria-t-il en anglais. Mon Dieu ! Ce n’est pas possible ! Tu ne me reconnais pas, Pete ? C’est moi, Bill Owain. Tu es bien Peter Frigate, n’est-ce pas ?
Ce dernier paraissait perplexe. Il dit en hésitant :
— C’est bien moi, oui, mais… à qui ai-je l’honneur, dites-vous ?
— Bill Owain ! Tu ne vas pas prétendre que tu as oublié ton vieux copain Bill Owain ? J’ai dû changer, sans doute, mais toi aussi, Pete. Il m’a fallu un bon moment pour te reconnaître. Il y a si longtemps !
Frigate sourit d’un air incertain, puis s’écria à son tour :
— Ce vieux Bill Owain ! C’est bien ça ! Mais oui, je vois très bien, maintenant ! Dire que tant d’années ont passé !
Ils s’embrassèrent avec effusion et se mirent à parler de manière volubile en ponctuant leurs retrouvailles de grands éclats de rire. Puis Frigate présenta Owain aux autres membres du groupe.
— C’est un ancien camarade de classe. Nous nous sommes connus sur les bancs de l’école primaire. Nous avons fréquenté ensemble le collège de Peoria, et nous sommes restés copains pendant des années. Ensuite, quand j’ai fini par m’établir à Peoria après avoir travaillé à droite et à gauche, nous ne nous sommes pas perdus de vue tout de suite. Mais nous avions chacun notre existence, et nous n’évoluions pas tout à fait dans les mêmes sphères.
— Tout de même, ajouta Owain, tu en as mis du temps, pour me reconnaître. Pour ma part, j’ai un peu hésité aussi, c’est vrai. Tu ne correspondais plus à l’image que j’avais gardée de toi. Ton nez me paraît plus long, tes yeux plus verts, ta bouche plus fine et ton menton moins pointu. En ce qui concerne ta voix… tu te souviens comme les autres te plaisantaient parce que tu avais la voix de Gary Cooper ? Elle a changé, maintenant. Ou tout au moins, elle ne correspond plus au souvenir que j’en avais gardé. Mais la mémoire, tu sais…
— C’est vrai, dit Frigate. La mémoire, on ne peut pas s’y fier. La mienne a d’ailleurs toujours été exécrable. Sans compter que nous étions au moins des quinquagénaires quand nous nous sommes vus pour la dernière fois, alors que nous avons maintenant le corps, sinon l’esprit, de jeunes gens de vingt-cinq ans. Et puis, nous ne portons pas du tout le même genre de vêtements. C’est vraiment un choc, tu sais, de revoir quelqu’un qu’on a connu sur la Terre !
— C’est la même chose pour moi ! Imagine que tu es le premier que je rencontre ainsi !
— Et pour moi, le second. Il y a trente-deux ans, j’étais déjà tombé sur un type que je connaissais, mais je m’en serais bien passé !
Frigate faisait allusion à un nommé Sharkko, ex-éditeur de romans de science-fiction à Chicago. Il l’avait escroqué à l’occasion d’un contrat assez compliqué. L’histoire avait traîné durant plusieurs années et sa carrière d’écrivain avait failli se trouver étouffée dans l’œuf. Ironiquement, l’une des premières personnes que Frigate avait trouvées sur son chemin juste après la résurrection avait été Sharkko. Burton n’avait pas assisté à cette rencontre, mais Frigate lui avait raconté plusieurs fois comment il s’était vengé du coquin en lui lançant son poing dans la figure.
Burton, pour sa part, n’avait retrouvé qu’une seule personne parmi toutes celles qu’il avait connues sur la Terre. Pourtant, il avait eu de nombreux amis, dans tous les coins du monde. Dans son cas, également, il se serait bien passé d’une telle rencontre. Il s’agissait de l’un des porteurs de son expédition aux sources du Nil. Sur le chemin du lac Tanganyika (que Burton et son compagnon Speke furent les premiers Européens à contempler), le porteur avait acheté une jeune esclave, qui n’avait pas plus de treize ans. Peu après, elle était tombée malade. Comme elle ne pouvait plus continuer avec eux, le porteur avait préféré lui couper la tête plutôt que de la vendre à quelqu’un d’autre.
N’étant pas présent au moment du meurtre, Burton n’avait pu empêcher cet homme de commettre son forfait. D’autre part, il n’eût pas été de bonne politique de le punir après. Le porteur, légalement, avait le droit de faire ce qu’il voulait de son esclave. Mais Burton l’avait pris en grippe et il n’avait jamais raté, par la suite, l’occasion de lui donner le fouet en l’accusant de vol, de paresse ou de négligence dans son travail.
Owain et Frigate burent quelques verres d’alcool de lichen tout en évoquant le bon vieux temps. Burton s’étonna de voir que Frigate avait oublié un bon nombre d’épisodes et de personnes que citait Owain.
— Te souviens-tu, demandait-il, de tous les films que nous pouvions voir en une seule journée ? Un jour, nous avions décidé de battre tous les records. Il y avait deux films à voir au Princess, deux autres au Columbia, trois à l’Apollo et une séance à minuit au Madison. Nous sommes allés partout. Tu ne te rappelles pas ?
Frigate hochait la tête en souriant, mais visiblement sa mémoire ne lui disait rien.
— Et quand nous sommes allés à St. Louis avec Al Everhard, Jack Dirkman et Dan Doobin ? reprit Owain. C’était le cousin d’Al qui nous avait dégoté trois filles. Des infirmières. Tu ne te rappelles pas ? On est allés jusqu’au cimetière… comment ça s’appelait, déjà ?
— Du diable si je m’en souviens, fit Pete.
— Oui, mais tu n’as certainement pas oublié comment ton infirmière et toi, complètement à poil, vous vous êtes pourchassés à travers tout le cimetière, jusqu’au moment où tu as trébuché sur une pierre tombale pour t’affaler au milieu d’une couronne et te relever tout égratigné par les épines des roses ! Ça, tu n’as pas pu l’oublier !
Frigate sourit d’un air embarrassé :
— Bien sûr que non, dit-il.
— Ça t’a coupé le souffle ! Et tout le reste aussi, d’ailleurs ! Ha ! Ha !
Ils évoquèrent d’autres souvenirs, puis la conversation devint générale et porta sur les réactions de chacun le jour où tout le monde s’était trouvé ressuscité au bord du Fleuve. C’était l’un des sujets les plus prisés ici. Le jour de la résurrection demeurait dans toutes les mémoires comme une expérience terrifiante et effroyable. La panique et la confusion qui avaient régné alors n’étaient pas près d’être oubliées. Parfois, Burton se demandait si ce n’était pas pour des motifs thérapeutiques inavoués que les riverains du Fleuve se plaisaient à parler de ces choses-là. Peut-être espéraient-ils, par cette catharsis verbale, se débarrasser de leur traumatisme.
Tout le monde avouait s’être conduit ce jour-là de la manière la plus ridicule.
— Je devais être vraiment pimbêche, reconnut Alice. Heureusement, je n’étais pas la seule. Nous étions tous dans un état voisin de l’hystérie. Ce qui m’étonne le plus, c’est que personne n’ait succombé à une crise cardiaque. Il y avait pourtant de quoi… mourir d’angoisse, en nous retrouvant subitement vivants dans cet endroit étrange.
— Je suppose, dit Monat, que nos bienfaiteurs anonymes avaient dû nous administrer, juste avant la résurrection, un euphorisant quelconque destiné à amortir le choc. Il y a eu aussi la gomme à rêver que nos graals nous ont distribuée. Elle a agi, pour la plupart d’entre nous, comme une sorte d’anesthésie postopératoire. Mais il faut dire que ses effets ont été parfois assez dévastateurs.
Alice jeta alors un regard gêné à Burton. Malgré toutes les années qui s’étaient écoulées depuis, elle rougissait encore lorsqu’elle repensait à ce qui s’était passé ce jour-là. Toutes leurs inhibitions avaient été levées pour quelques heures et ils s’étaient comportés comme des visons qui se seraient nourris exclusivement de cantharide. Ou comme si leurs fantasmes les plus secrets avaient soudain pris le dessus.
La conversation porta ensuite sur l’Arcturien. Jusque-là, malgré son attitude chaleureuse, il s’était heurté, comme toujours au début, à la froideur circonspecte qu’il avait l’habitude de rencontrer partout où il allait. Son aspect non humain intimidait les gens, ou les repoussait.
Ils lui posèrent des questions sur sa planète natale et sur les événements qui s’étaient déroulés à son arrivée sur la Terre. Plusieurs personnes présentes avaient déjà entendu des récits sur les Arcturiens et les circonstances dans lesquelles ils s’étaient trouvés obligés de tuer presque tous les Terriens. Mais seul Frigate avait vécu à l’époque où le vaisseau extraterrestre avait fait son apparition.
— Il y a une chose que je trouve étrange, fit Burton, mais elle doit avoir une explication. D’après Frigate, huit milliards d’humains vivaient sur la Terre en 2008. Pourtant, à part lui, Monat et une seule autre personne, je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui venait de cette époque-là. Et vous ?
Tout le monde secoua négativement la tête. En fait, les seules personnes présentes qui avaient vécu à partir de la deuxième moitié du XXe siècle étaient Owain, mort en 1981, et une femme décédée en 1972.
— Il y a environ trente-six milliards d’humains répartis le long de ce Fleuve, poursuivit Burton en secouant la tête. La majorité de ces gens, statistiquement parlant, devraient être nés entre 1983 et 2008. Pourtant, je ne connais que trois personnes qui soient dans ce cas. Où sont donc passées toutes les autres ?
— A quelques kilomètres d’ici, si ça se trouve, répondit Frigate. Après tout, personne n’a jamais essayé de procéder à un véritable recensement systématique. Je ne crois pas que la chose serait possible, du reste. Quand on voyage en bateau, on passe devant des centaines de milliers de gens. Mais combien en voit-on vraiment ? Quelques dizaines par jour, au maximum. Tôt ou tard, cependant, tu finiras bien par tomber sur l’un de ceux que tu cherches.
Ils évoquèrent ensuite les conditions et les motifs de la résurrection générale de l’humanité au bord du Fleuve. Qui en était responsable ? Pourquoi la barbe des hommes ne poussait-elle plus ? Pourquoi s’étaient-ils retrouvés circoncis ? Pourquoi les femmes avaient-elles été ressuscitées avec leur hymen intact ? Autant de questions qui, depuis trente-deux ans, n’avaient pas trouvé de réponse satisfaisante.
En ce qui concernait la disparition de l’obligation de se raser tous les jours, la moitié des hommes environ estimaient que c’était une excellente chose, tandis que les autres se désolaient de ne plus pouvoir laisser pousser ni barbe ni moustache.
Un autre sujet d’étonnement était le fait que les graals, aussi bien ceux des hommes que des femmes, distribuaient régulièrement du rouge à lèvres et des cosmétiques divers. D’après Frigate, la seule explication possible à ces deux derniers phénomènes était que leurs bienfaiteurs anonymes détestaient se raser et que les deux sexes avaient l’habitude de se maquiller le visage.
Alice parla alors des choses étranges qui étaient arrivées à Burton dans la bulle prérésurrectionnelle. Tout le monde attendait une explication de l’explorateur, mais il déclara qu’il avait absolument tout oublié à la suite d’un coup qu’il avait reçu sur la tête.
Comme chaque fois qu’il invoquait ce prétexte, il remarqua le léger sourire de Monat. L’Arcturien savait qu’il mentait. Cependant, il respectait le secret de Burton. Il n’avait jamais cherché à lui tirer les vers du nez.
Frigate et Alice racontèrent donc l’histoire qu’ils tenaient de Burton. A une ou deux reprises, ils déformèrent légèrement les faits mais l’explorateur, naturellement, s’abstint d’intervenir pour rétablir la vérité.
— Dans ce cas, fit un homme qui entendait l’histoire pour la première fois, on peut penser que la résurrection n’a rien de surnaturel, mais qu’elle a été accomplie par des moyens scientifiques. C’est fantastique !
— Bien sûr, dit Alice. Mais pour quelle raison ne sommes-nous plus ressuscités quand nous mourons ? Pourquoi la mort est-elle redevenue un état permanent ?
Un silence pensif tomba sur l’assistance. Ce fut Kazz qui le rompit le premier en disant :
— Il y a une chose que Burton-nak n’a pas oubliée ; c’est l’histoire de Spruce, l’espion des Ethiques.
Cela déclencha une série d’autres questions.
— Qui sont ces Ethiques ?
Burton but une longue gorgée de whisky avant de se lancer dans ce nouveau récit. Il raconta comment ses compagnons et lui étaient tombés aux mains des esclavagistes des graals. Tout le monde savait en quoi consistait l’esclavage des graals, bien que cette pratique eût à peu près disparu depuis l’époque dont parlait Burton.
Leur bateau avait été capturé et Burton et son équipage avaient été conduits dans un enclos entouré d’une haute palissade en bambou. Ils ne quittaient cette prison que pour aller travailler, enchaînés, sous la surveillance de gardes féroces. Chaque jour, ils devaient remettre à leurs gardes non seulement tout le tabac, l’alcool, la marihuana et les produits de luxe que leur distribuait leur graal, mais aussi la moitié de la nourriture. On ne leur laissait que de quoi survivre.
Au bout de quelques mois, Burton et un autre prisonnier nommé Targoff avaient fomenté une révolte qui fut couronnée de succès.